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Mediacteur
5 janvier 2006

Quand profs et élèves bloguent... quelle classe !/?

352_ea288c1982bf400955de451a4e76a85813 janvier 2006 : ça y est ! La blogosphère doublerait maintenant tous les 5 mois. C’est du moins ce que prétend l’agence-conseil française Heaven citée dans un article du journal Le Monde de ce jour. La carnetosphère, comme on l’appelle aussi, exploserait… les bloggeurs s’exprimeraient désormais en masse sur le net. Une véritable révolution, dit-on. De là à citer le légendaire Gutenberg et le tournant que représente son passage dans le monde de la communication et de la diffusion, … le pas est franchi allègrement.

Ainsi donc, nous serions à la veille d’un changement planétaire des pratiques de la communication. L’apparition des blogs devrait révolutionner les rapports humains. Oui, sans doute… mais où placer les limites de ce que certains qualifient déjà de « mutation » ? Qu’on ne s’y trompe pas ! À observer un peu fidèlement le phénomène, on s’apercevra que celui-ci a des limites… les pratiques bloggiennes se cherchent encore. Distinguons selon les tranches d’âges des internautes. Évoquons d’abord les ados, dont on nous dit qu’ils sont les pionniers d’une nouvelle génération « eux qui entre 15 et 20 ans peuvent pour la première fois échanger avec leurs pairs — chercher ou propager de l'information, tisser des relations sociales — sans que leurs aînés aient la moindre connaissance de ce qu'ils font. (1) ».

Tof ta tronche

Les plates-formes où ils se défoncent présentent une étonnante homogénéité : des photos, des photos et encore des photos. C’est un fait avéré, la nouvelle génération des GSM à capteurs d’image balise le terrain et les pratiques carnetières des teenagers. Avec son lot bien conséquent de dérapages : non seulement le déficit de qualité technique, mais aussi le mauvais goût et enfin les manquements au plus élémentaire des droits : le droit à l’image. Combien de portraits figurent sur ces blogs, et pour lesquels il n’a pas été demandé d’autorisation de publication. En plus de cette première tendance, on assiste à une déferlante de copié/collé. Qu’il s’agisse de textes de chansons, de clip’art ou d’images mangas glanées sur le web. On est bien servi ! Il en pleut à chaque page, de quoi remplir rivières et océans ! À nouveau, la législation aurait tout lieu de se sentir malmenée : le droit d’auteur est piétiné sans aucun remord. Et il y en a même qui ajoutent un fond musical : le fichier mp3 de leur air favori inscrit au hit-parade du moment… téléchargé dans son intégralité, bien sûr ! Seul dédouanement parfois –signe d’une certaine prise de conscience… des torts et non des risques encourus- : un message lapidaire du genre : « Si vous constatez sur ce site la présence de documents dont vous seriez détenteur de droit, merci de nous le faire savoir, nous retirerons immédiatement le document incriminé ». Mieux que rien, diront certains. Légalement insuffisant !

On tèm, tu ç

La ligne éditoriale de ces carnets ado en ligne est bien celle des cahiers intimes ou des carnets de poésie d’antan. Là où l’amie, l’ami se manifestait par un joli dessin, c’est la photo de celui-ci qui s’affiche, participant volontairement ou non à une communauté de sympathie. Et quand l’auteur est plus prolixe, le récit partagé s’inspire de ce que les journaux intimes gardaient jalousement. On notera cependant l’inversion complète du concept : là où la confidentialité était la règle absolue, c’est maintenant d’une exhibition totale –et parfois encore inconsciente- dont il s’agit. À tel point qu’usant d’un néologisme, Serge Tisseron (2) parle à leur sujet d’extimité. Car combien d’ados pensent encore naïvement qu’à ne donner l’adresse de leur blog qu’à un petit cercle d’amis, la confidentialité est sauvegardée. Ils ignorent que le secret n’est pas gardé très longtemps et que des outils de recherche sur le net, moteurs et annuaires, référencent tôt ou tard tout document publié. Forts de cette conviction naïve qu’ils ne seront pas repérés, certains se risquent alors à des paroles plus audacieuses et critiques… et l’on retrouve alors dans la presse, l’écho de plaintes déposées à leur encontre, qui pour de la malversation, qui pour de l’injure, qui pour de l’atteinte à la vie privée… Combien d’écoles n’ont pas été saisies de ce cas de figure : un élève aigri, à tort ou à raison, déverse en ligne toute son amertume à l’encontre d’un enseignant ou d’un condisciple. Photo à l’appui ! Avec trucage ou manipulation de sens dans la légende ou le commentaire. Un signe des temps !

Conflidence en ligne

Les adultes, eux, procèdent autrement et pour d’autres motifs. La dimension textuelle des blogs adultes est nettement plus importante. On y découvre aussi, encore et toujours cette veine « diariste (3) » et la partie composition personnelle y est forcément plus développée. La qualité poétique n’est pas toujours au rendez-vous, mais ce n’est pas l’important. Le média est là. Le média est la communication. Alors, après quelques hésitations, et mus par un vaste mouvement grégaire, les plus timides se lancent aussi dans la communication. En effet, aujourd’hui, pour être à la page, il ne suffit plus d’avoir une adresse électronique. Il faut avoir son blog ! Pourtant, très vite, on s’aperçoit de dérives caractérisées. Même adulte et responsable, le bloggeur ne souhaite pas communiquer avec n’importe qui. Priorité aux gens que l’on ne connaît pas ! Il en est même qui se font un sport de garder secrète leur production aux yeux du conjoint ou des enfants. La ligne éditoriale doit pouvoir se développer en toute quiétude ! Et parfois, cela dérape, car on n’a pas su tenir sa langue, et le membre tout proche découvre alors parfois avec déception qu’il n’est nulle part présent dans le récit bloggien, ou que son auteur se confie plus dans ses écrits qu’à domicile. Il arrive aussi que des commentaires soient postés par des visiteurs, pour secouer, voire contredire l’auteur du blog. Et force est de constater que les réactions ne sont pas du tout empreintes de l’ouverture que l’on pourrait supposer légitime. En fait, sur son blog, on veut bien se confier, mais plutôt à des gens qui pensent comme soi. À des confidents cajoleurs qui entreront dans votre manière de voir le monde et votre vie. Des internautes qui vous soutiendront en marquant leur accord sans réserve. Plusieurs ayant fait cette expérience de l’altérité critique ont été à ce point dérangés qu’ils en ont fini par changer leur fusil d’épaule, quitte à ouvrir un nouveau blog, pour ne plus essuyer la présence de ces indésirables. Le droit d’être soi, de se confier et d’être soutenu dans sa plainte… tel est le leitmotiv de beaucoup. En témoigne également ces nombreuses fausses sorties que cultivent certains d’entre eux. « Je ne vais pas bien, je ne trouve plus ce que je cherche dans l’écriture de ce blog. Encore un peu de temps et je vais mettre la clé sous le paillasson ». Message suivi immédiatement d’une salve… salvatrice de « Non, reste avec nous, on t’aime. Tu as le droit d’avoir le cafard. Si tu souffles un peu, on te souhaite le meilleur. Reviens-nous vite ».

Dites-moi de ne pas fermer mon blog

Combien de temps durent ces blogs ? La réponse n’est pas identique pour chacun, c’est bien normal. La fréquence des posts non plus ! Certains sont réguliers et quotidiens. D’autres sont plus épisodiques et irréguliers. Certains écrivent selon l’actualité de leur vie. D’autres publient de la sorte des textes plus anciens auxquels ils donnent une seconde vie. Des carnets comme ceux-là s’essoufflent après quelques mois. Un an et demi, deux ans… et puis la vie reprend généralement le dessus. Durent peut-être un peu plus longtemps, ceux qui se nourrissent aussi d’une communication « en visu », certains bloggeurs ayant pris le parti de rencontrer, seul ou en bande, les commentateurs réguliers de leur blog. Dans ce monde de la virtualité, les amis de mes amis sont mes amis. Il arrive que certains déclenchent des rassemblements à domicile, en ville ou dans des lieux de fêtes. Ces communautés tiennent naturellement plus longtemps. Du moins, quand les rencontres débouchent sur une altérité qui plait, même si elle n’est pas celle que l’on s’imaginait par écran interposé. S’il ne faut pas aller jusqu’à incriminer le délit de sale gueule, il faut reconnaître que plus d’un a connu une sérieuse déception en rencontrant le correspondant de la petite lucarne.

Cette description de la blogosphère nourrie à plus de deux années d’observations régulières de toute une série de blogs recensés principalement en Belgique francophone, pour être fondée n’est sans doute pas totalement représentative de l’ensemble. Mais c’est une tendance vérifiable dans les faits de cet univers bloggien (4). Du moins, de cette partie de l’univers bloggien qui sert de carnetosphère à des auteurs qui, sans cette infrastructure technologique, n’aurait pas quitté la pratique papier qu’ils connaissaient antérieurement, voire, qui n’auraient jamais commencé d’activité d’écriture.

Propos d’blog de pros

Car il y a aussi les professionnels de la communication et les férus des échanges cognitifs qui, basculant sur le net, ont été freinés, dans un premier temps, dans l’acte de produire. Tant que les outils d’interfaçage réclamaient des connaissances informatiques avancées. Ils s’y sont pourtant mis avec entrain quand la technologie du wiki (5) a fait son apparition. En fait, ceux-là n’attendaient que ce feu vert pour investir un nouvel univers de communication, plus collaboratif, moins cher d’usage et plus immédiat. Pour le reste, ils y pratiquent une communication qui n’est pas spécifiquement « bloggienne ». En fait, ils se servent de cette nouvelle technologie de production pour éditer ce que d’autres publient sous la forme de sites internet plus sophistiqués. Ces blogs-là dépasseront le cap de l’année et demie ou des deux ans de vie. Leur propos ne cherche pas l’assentiment facile de confidents inconnus et chaleureux. La raison de leur publication est de continuer dans ce nouvel univers, un échange qu’ils vivaient avant ailleurs et qui, aujourd’hui, se doit d’évoluer dans ce nouveau milieu technologique. Ainsi en est-il des blogs de chercheurs, de journalistes, d’enseignants, de politiques, d’animateurs culturels ou autres qui, à titre personnel ou au nom de leur institution, s’expriment en ligne comme ils le faisaient oralement ou sur papier.

Vraie question

Reste que la technologie pose une question : ce média est-il un nouveau médium ? Sa structuration modifie-t-elle le message ? Y a-t-il un genre nouveau et une pratique nouvelle si l’on communique par blogs interposés ? Et si cette technologie s’insère désormais dans des pratiques établies (la politique, l’enseignement, la recherche scientifique…) modifie-t-il le déroulement des échanges ? Il est sans doute trop tôt pour pouvoir s’exprimer sur le sujet avec, à l’appui, une expérience suffisamment enracinée. Néanmoins, pour le secteur de l’enseignement, on peut relever certains faits significatifs (6).

Les programmes de formation qui permettent aux enseignants de se former à des usages pédagogiques basés sur les blogs ne sont pas encore légion. La participation des enseignants à ces programmes n’est pas massive. La mise en application des pratiques approchées n’est donc pas encore fort développée. La raison tient aux préalables à ce changement. Il faut bien sûr sortir de cette conception de l’enseignement qui ne serait que transmission de savoir, pour évoluer vers un apprentissage par l’action personnelle au creux d’un projet porteur… donneur de sens. Ça, on le sait. Mais il faut aussi avoir enclenché une démarche d’enseignement aidé par les technologies. C’est ce que l’on appelle en Communauté française de Belgique, l’éducation par les médias. Beaucoup en sont encore loin, tracassés qu’ils sont à apprendre les rudiments techniques et informatiques pour un usage personnel à domicile. Or, on le sait, l’enseignant n’intègre en classe que ce qu’il estime déjà maîtriser par ailleurs. Et puis, les écoles, pour équipées qu’elles sont, n’ont pas encore atteint le ratio suffisant de machines par nombre d’élèves, accessibles suffisamment fréquemment sur la semaine, pour que les enseignants construisent une véritable stratégie pédagogique via l’ordinateur. Enfin, l’éducation par les médias doit être accompagnée idéalement d’une Education aux médias, c’est-à-dire une réflexion critique sur l’usage du média, son fonctionnement technique, mais aussi la structuration qu’il impose à la communication et à la communication pédagogique encore plus, à partir du moment où elle s’insère dans ce nouveau canal d’émission.

Vrai défi d’innovation

Où est le défi, la chose nouvelle à observer en train de se créer ? Il s’agit en fait d’enseigner avec les technologies, en mettant de la distance entre l’apprenant et l’enseignant, même si ces derniers sont dans la même pièce (on parlera parfois d’enseignement à distance, sans distance). Le faire autrement que par un scénario d’enseignement assisté par ordinateur (QCM et autres vrais ou faux). Le faire par un apprentissage de construction de savoirs grâce à la collaboration intelligente de plusieurs acteurs (apprentissages de type collaboratifs, bien sûr). Élaborer cela selon un mode de fonctionnement technologique qui table sur l’échange de communications s’affichant en posts fréquents, classés par catégories, accessibles via agrégation au sein d’un fil RSS … répondant à un blog par un autre blog, chaque intervenant ayant créé son propre espace de publication en ligne pour y personnaliser sa communication. Voilà ce qu’il faut inventer, car c‘est cela un blog, et c’est cela une pédagogie qui s’en inspirerait pour créer un nouveau cadre d’apprentissage.

Déclaré désormais « outil pédagogique » par détournement de sa fonction initiale, il faut investir le blog des besoins de la pratique d’enseigner. Et il faut saisir les opportunités offertes par le blog traditionnel pour enrichir de nouveaux apports l’acte d’enseigner. Sans verser pour autant dans le « tout au blog » car il n’y aurait sans doute de pire intégrateur du blog en pédagogie que celui qui voudrait en faire une nouvelle panacée.

(1)Rheingold Howard : cité dans Le Monde du 27.11.05 : « Dans dix ans, la vie privée telle qu'on la définit n'existera plus » : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-651865,36-714592@51-714762,0.html

(2) Tisseron Serge, « L’intimité surexposée », Hachette, Paris, 2002, 180 pages : ISBN : 2012790658

(3) De diary, en anglais : journal intime

(4) Il a été fait le choix, ici de ne pas renvoyer par notes de bas de page, chaque observation rapportée à son illustration en ligne. Les passages les plus significatifs de ces blogs se trouvent néanmoins rassemblés et accessibles sur le blog : http://blogdeprofs.skynetblogs.be

(5) Technologie développée dans l’esprit des licences libres (GNU) et qui permet une adaptation logicielle aux besoins spécifiques de l’utilisateur.

(6) Nous parlerons ici de la Belgique francophone, lieu de notre observation et de notre pratique.

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