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Mediacteur
23 juillet 2014

Analyses de l'été : Vignettes Panini : un arrêt sur images

L’Education aux médias (EAM) a pour but d’éveiller le consommateur médiatique afin d’en faire un lecteur critique et un communicateur efficace, responsable et citoyen. Pour ce faire, l’EAM investigue les médias classiques (presse, radio, télé, cinéma) et les nouvelles technologies (internet et plus globalement, le numérique).

Reste que les outils et démarches d’analyse empruntés peuvent aussi s’appliquer à d’autres supports de médiatisation de contenu. On pourrait faire de l’EAM sur une collection d’images pieuses comme il s’en distribuait à l’occasion de communions solennelles. On pourrait s’y prendre de la même façon avec des faire-part mortuaires. Récemment, il est réapparu une autre série de vignettes qui se prêteraient facilement à une lecture interprétative : les cartes des albums Panini.

 

paniniL’Education aux Médias est une démarche qui se greffe assez souvent sur une séquence de travail où les médias sont utilisés comme supports d’enseignement ou de transmission. Ce que l’on appelle l’Education « par » les médias. Dès lors, le choix de ces supports didactiques est-il rarement anodin. Les documents sont choisis prioritairement pour illustrer un contenu de cours, un parcours d’apprentissage. Leur contenu est primordial, à ce titre. On pourrait dès lors croire que l’évocation des collections Panini est maladroite pour parler d’EAM.

Pourtant, ce que l’on peut constater, c’est que les supports Panini constituent un vecteur de transmission qui se prête à l’analyse classique en six dimensions. Cette grille d’analyse en six points, bien connue des formateurs en EAM, peut être appliquée à la collection des vignettes des équipes de foot par exemple.

En effet, dans les mains des ados ou collées dans les albums, elles figurent chacune une personne et collectivement un pays, une nation. Les jeunes « fous de foot » les connaissent par cœur, identifiant chacune d’un rapide coup d’œil.  Celles qu’ils possèdent, mais aussi, celles qu’ils rêvent d’obtenir par troc à la récré (leurs manquantes)… et plus particulièrement les « brillantes ».

Le phénomène s’analyse sur plusieurs générations. Pour savoir ce qui se passe dans la tête de nos gamins (et peut-être, mais en moins grand nombre, de nos filles), il faut aller interroger les parents... ou rentrer dans nos propres souvenirs de gosses. « Florent, 30 ans, est un habitué. « J’ai eu mon premier album à l’âge de 6-7 ans puis je me suis abstenu pendant quinze ans avant de redémarrer pour la Coupe du monde 2006, avoue-t-il. Avec le temps, le plaisir est toujours là. À chaque fois que j’ouvre une pochette, le bruit me rappelle plein de souvenirs ». Père d’un petit garçon de 2 ans, Florent entend bien transmettre cette passion à son fils : « je pourrais faire des échanges avec lui », confie-t-il au journal La Croix qui l’interview . Si vous-mêmes avez la mémoire courte… internet sera votre ami. Tapez dans un moteur de recherche le nom de votre joueur favori ou de votre équipe fétiche. Allez dans la rubrique « images »… et tout remontera à la surface de votre conscience. Selon votre âge, vous prendrez peut-être la Belgique en Espagne, en 1982. A l’époque, Guy Thys est entraineur. Eric Gérets le capitaine. Préférez-vous les Diables rouges au Mexique en 1986, avec « Zean-marie » dans les lattes, et les autres Scifo, Gruns, Gerets, Ceulemans, Vandereycken, Vanderelst, etc. ? Vingt-deux joueurs sélectionnés, certes, mais onze figurant en vareuse rouge sur le poster de l’équipe nationale. A moins que votre regard ne soit plutôt attiré par la présentation du onze de base, chacun revêtu du maillot de son club engagé dans le championnat national. Et puis, bien sûr, il y aura dans les images affichées à l’écran, la jeune équipe d’aujourd’hui : les Kompany, Lukaku, De Bruyne, Hazard, Mertens, Witzel…

Appliquons donc les six dimensions de la grille d’analyse à ces petits autocollants, cette  collection de cartes dédiées à la Coupe du monde de football (Typologie). On pourra tout d’abord entrer dans la logique économique qui prévaut à ce genre de publication. Car il n’y a pas de production médiatique qui n’ait un modèle économique assez influent sur le concept. Les pôles « producteurs » et « publics » sont assez évidents à décrire. Le producteur de ces albums est une entreprise privée qui a bien compris tout le profit qu’elle pouvait tirer de l’engouement pour le sport (mais pas uniquement car il existe des cartes Panini dans d’autres secteurs comme le cinéma par exemple) et de l’esprit de collection des passionnés d’une activité, qui plus est ici, à haute faveur symbolique. En effet, il apparaît que le sentiment de patriotisme s’exacerbe dans ce genre de compétition. Les citoyens ont beau être assez réservés quant à leur appartenance nationale… que surgissent des figures emblématiques (une équipe nationale –les Diables rouges, mais aussi plus récemment les Black Panthers ou les Red Lions en hockey-, une vedette nationale –nos joueurs-euses de tennis par exemple-, un concours mettant en scène des représentants nationaux –ainsi l’Eurovision) et l’effervescence se manifeste assez spontanément. Panini, c’est donc du business. Un rapide survol d’internet permet de récolter des infos significatives des enjeux financiers entourant cette publication. Panini espère bien vendre entre 300.000 et 500.000 exemplaires de son album qui comprend 640 vignettes et sera disponible dans 100 (ou 110) pays, selon les sources. Prix de vente : 2 euros. A cela s’ajoute la vente des vignettes (0,60 euros pièce, par pochette de 5). Un rapide calcul donne à penser qu’il faudrait débourser 78,80 euros pour acquérir les vignettes. Mais une estimation mathématique situe plutôt autour de 150 euros la somme qui sera engagée dans l’achat de pochettes (assemblage fortuit de cinq figures) de sorte à alimenter ensuite les échanges entre collectionneurs. Certes, vous pouvez acheter des boîtes plutôt que des pochettes. Il s’en vend par 500 vignettes pour 60 euros. Tarif identique donc ! En cherchant bien, vous trouverez des boîtes faisant l’objet de promotion (-30%) : 250 vignettes pour 21 euros, mais il faudra ajouter les frais de port. En effet, ceux-ci ne sont gratuits qu’à partir d’une commande de 500 euros. Qu’à cela ne tienne !

Quoiqu’on en dise, le troc reste malgré tout la façon la plus économique de les acquérir. Toutefois, la part de hasard est telle qu’il ne vous sera pas possible de rassembler la totalité de l’éventail. Rassurez-vous, la « technologie » (une autre de nos six dimensions) viendra à la rescousse. Panini a donc prévu le coup… il est possible de commander les manquants. Un achat ciblé à 0,18 euros la vignette et qui ne peut dépasser les 50 pièces par collectionneur… histoire de clôturer donc un exercice essentiellement basé sur l’échange. Et pour vous aider à troquer à l’aise, la firme met sur pied des aires d’échanges en ligne par pays, sur paninionline. Il a même été développé une application pour les tablettes et smartphones nommée « Panini Collectors » qui permet de scanner ses autocollants en simple ou en double. Objectif : réunir la communauté des collectionneurs et faciliter les échanges entre eux. On l’aura compris, il y a là un sacré commerce dans lequel les enfants se lancent à coup de 2 euros par ci (l’album), 3 euros par là (les pochettes)…

« Producteurs » et « Technologies » ont déjà été évoqués dans notre analyse. Alors continuons le parcours. Les « Représentations » et le « Public » : pourquoi cet engouement pour des vignettes, alors que les photos de chaque équipe et de leurs vedettes respectives circulent abondamment dans les médias, y compris sous forme de posters encartés dans les principaux quotidiens ? C’est parce que la fibre collectionneuse correspond à un large public, et que les vignettes immortalisent chaque joueur d’une façon à nulle autre pareille. C’est à tel point vrai que si j’évoque aujourd’hui des noms comme Ruud Gullit ou Fabien Barthès, on s’en souvient comme si c’était hier. Ces « Tif  et Tondu » du ballon rond sont restés célèbres pour leur choix capillaire que l’album Panini fixa définitivement dans les mémoires. Et si l’on parle à certains collectionneurs de telle ou telle vedette, c’est un cliché bien précis, un arrêt sur image, qui s’impose une fois pour toutes à leur mémoire. Et cela vaut tout autant pour un Cruyf, un Van Moer ou un Van Himst, qu’un Pelé, un Zidane ou un Platini. C’est ça aussi la force d’une collection : la capacité de fixer dans la mémoire un vaste ensemble d’images devenues emblématiques. Car si la photo prise est bien, sur le moment, une représentation du joueur, elle devient, avec le temps et sa mise en évidence dans l’album… une sorte d’allégorie. Un phénomène de fixation et d’idéalisation qui s’est produit pour d’autres représentations ayant pris une valeur hautement symbolique. Ainsi, par exemple, le Christ Pantocrator des chœurs de cathédrales. Il est présenté à tous les coups avec une mèche sur le front. La nazaréen était-il un « crollé »… Il semble bien qu’une trace de sang coagulé figurant sur le linceul de Turin présida à la caractérisation, à tort ou à raison, de l’image du Christ Jésus. Toutes ces images ont donc pour effet d’arrêter le temps et d’endosser la valeur d’une icône… image de la réalité stabilisée pour l’éternité. En cela, elle illustre parfaitement la notion centrale de l’EAM : les représentations du réel.

Côté « Langage » maintenant –cinquième thématique de la grille-, les trombines s’associent aux logos de clubs, aux vareuses, aux insignes nationaux, aux images des stades de foot… Jusqu’aux mascottes et aux ballons (le Brazuca pour cette édition 2014) qui se trouvent immortalisés ! En vignettes normales et en « brillantes ». Tout y est.

Et pourtant,  il y a un problème avec les infrastructures… « La sortie de l'album Panini 2014 s'est heurtée à quelques obstacles notamment au niveau des stades brésiliens qui n'ont pas encore été achevés lors de l'édition du book ». Le président de Panini Brésil a expliqué à Euronews « Au moment de la fabrication de l'album, vu que certains stades n'étaient pas prêts, nous avons dû acheter des photos aux entreprises qui fournissent la FIFA ». La FIFA qui a approuvé la décision de substituer les illustrations habituelles aux photos ». Finalement, pour atteindre les 649 vignettes sélectionnées avec soin, Panini n’a pas rechigné sur le positionnement de produits ! Ce qui fait dire à un brésilien de 28 ans s’exprimant sur le site internet : Ils auraient pu ajouter des autocollants de quelque chose plus dans le ton de la Coupe du monde, comme les entraîneurs, à la place de la publicité qui leur est bénéfique». Mais Panini a justifié ce choix en expliquant par mail à des collectionneurs que cette collaboration avait permis de distribuer gratuitement plus de 6 millions d’albums sur la planète.  La collection passe donc ainsi de 639 stickers à 649.

Tout y est, oui ! Et pourtant, il y a aussi des absents ! C’est en effet que Panini, pour des délais d’impression, a du faire sa sélection avant les sélections officielles ! Pour la Belgique, par exemple, Januzaj, Origi et Vanden Borre absents seront de vrais manquants ! Par contre, Benteke a sa vignette alors que, blessé, il ne fera finalement pas le déplacement au Brésil. A moins que l’économique ne l’emporte et que l’on imprime in extremis les portraits des derniers sélectionnés (en fait, c’est bien le choix qui a été retenu).

C’est aussi ça, l’album Panini : un discours sur le discours… qui montre bien que la représentation médiatique n’est pas la réalité mais sa probable impression sur papier gommé. Un phénomène d’immortalisation qui transcende le temps mais fige les représentations alors que le réel, lui, continue d’évoluer.

Ce phénomène n’est pas nouveau. IL est par exemple à l’œuvre dans la philatélie : le temps s’arrête, figurant de façon stéréotypée et, pourrait-on dire, pour l’éternité : des paysages, des monuments, des espèces d’oiseaux, de papillons, de mammifères… Avant cela, la numismatique a produit le même arrêt sur image en immortalisant les empereurs, les rois, les princes. La statuaire n’a pas joué autrement en représentant les saints et les saintes de façon caricaturale, dotés de leurs attributs liés à la légende les installant dans l’imaginaire collectif. Sans nul doute, cette manière de faire emprunte-t-elle à la démarche de béatification… rendant chacun des épinglés « bienheureux », reconnu tel pour l’éternité et présenté dès lors à la piété populaire dans une iconographie avantageuse et symbolique.

Les vignettes Panini seront donc un support intéressant pour illustrer le mécanisme des six dimensions de l’EAM. Non seulement, elles montrent bien le phénomène d’arrêt sur image et de fixation stéréotypée de la réalité, mais elles le feront sur un contenu médiatique qui emportera l’adhésion des élèves, ravis de constater que l’on peut partir de leurs centres d’intérêt pour évoquer ces notions d’apprentissage. Comprenant aisément ce mécanisme de représentations, ils n’auront sans doute ensuite guère de difficultés à l’identifier pour d’autres arrêts sur images.

Au détour de cette analyse médiatique, ils auront sans doute aussi perçu tout l’enjeu économique qui se cache derrière pareille émission de collections… faisant d’eux des cibles de choix. De quoi être toujours plus citoyen autonome, responsable et critique.

 

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