Dans le cadre du Mooc ReSop : Question à François Jourde (4ème semaine)
A propos des Fakebooks comme processus pédagogiques
La question a surgit dernièrement dans une conversation entre praticiens en Education aux Médias : « Régulièrement prescripteurs d’usages et d’outils sur le net en formation, comment nous situer face à ces détournements « à des fins pédagogiques » ? » L’exemple qui avait déclenché le débat était justement celui des fakebooks (Cf profil dédié au Père Goriot) qui divisait à l’évidence les formateurs. Contractuellement, le signataire des conditions d’usage de Facebook s’engage à ne créer qu’un seul profil personnel. Des « groupes » et des « pages » peuvent aussi trouver leur place dans l’arsenal facebookien… mais pas des profils de personnages de fiction. En invitant les élèves à ce type de productions (indéniablement très intéressantes sur le plan pédagogique) ne pousse-t-on pas à la faute ? Et sans aller si loin dans l’exercice de mystification, n’est-ce pas tout aussi déontologiquement suspect quand on invite ses élèves, pour des raisons de confidentialité, à se créer un second profil, pour un usage spécifiquement scolaire de l’outil social ?
Et à y bien remarquer, la question déborde du seul usage de Facebook. En effet, pour des raisons de prudence, les éducateurs sont parfois enclin à donner aux élèves des consignes contradictoires, disant à la fois tout l’intérêt qu’il y a à se construire une identité numérique forte (exempte de tout dérapage de publications tant impulsives qu’intempestives sur le long terme – une vraie compétence à acquérir) et prônant par ailleurs une réserve allant jusqu’à la mystification pour ne pas dévoiler inutilement ses coordonnées personnelles.
Derrière ces exemples, la question centrale touche à la déontologie du formateur ou de l’enseignant : peut-il inviter ses élèves à tricher avec les règles en place… sous prétexte de contexte pédagogique… une fréquente exception que l’école revendiquerait d’être au dessus des lois, sous prétexte d’éducation.
Face au point de vue carré de ceux qui insistaient sur le respect strict des prescrits légaux et des engagements signés par les utilisateurs, un autre groupe de formateurs justifiait de sa pratique en précisant les éléments suivants :
- Les conditions d’utilisation d’un logiciel ou d’un service n’ont pas force de loi, mais précisent les termes d’usage communément admis, de sorte que les utilisateurs sachent « dans quel jeu ils jouent »
- Le dépassement des usages originaux d’un outil ou d’un service fait partie de son l’évolution, de sorte qu’il mute de façon consensuelle et collective vers de nouveaux usages qui sont progressivement intégrés aux usages permis, voire publicisés par la firme qui les instrumente et les développe. Ainsi, Facebook qui était au départ un trombinoscope d’universitaires, a-t-il évolué vers ce qu’il est aujourd’hui pour le plus grand bénéfice (et aussi économique) de son propriétaire qui ne s’en plaint pas.
- Le détournement à des fins pédagogiques est l’illustration quotidienne de la créativité des enseignants qui font feu de tout bois pour atteindre leurs intentions… sans que, bien sûr, les prescrits légaux ne soient transgressés.
Reste qu’un élément doit être pris en compte, qui est sans doute un peu original du fait que ceci se passe sur le net : antérieurement, quand un enseignant détournait un concept sociétal (un objet, un processus, une technique) il le faisait généralement dans la confidentialité des murs de la classe. Aujourd’hui, avec la publicité dont profitent les productions éditées en ligne, on n’est plus cloisonné dans l’intimité du champ pédagogique. En ce sens, wikipédia qui a développé en son sein, un espace spécifique pour le développement de projets pédagogiques a tenté de différentier les usages. Mais ce n’est pas pour cela que le monde scolaire s’en contente en s’interdisant toute intervention dans l’encyclopédie elle-même. Car si l’école est un lieu test où le droit à l’erreur réclame parfois que l’on s’essaye en terrain d’écolage sécurisé… il n’en demeure pas moins vrai que la finalité ultime des apprentissages est bien de se mouvoir dans la vraie circulation au quotidien (on percevra le parallélisme que cette image permet avec les autoroutes de l’information) et que cela doit à un moment se pratiquer dans la « vraie vie », sur le vrai réseau, avec sa vraie identité.
De quelle manière François Jourde se positionne-t-il dans ce débat ?