Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mediacteur
17 juillet 2006

Révolution pronétarienne, si et seulement si…

carnetierRésumé :
Joel de Rosnay publie un ouvrage annonçant la fin d’une économie de type capitaliste, laquelle sera mise à mal par l’émergence des nouvelles technologies de production de contenus sur le net (Web 2.0, outils collaboratifs et logiciels libres).
L’article insiste deux aspects absents dans l’analyse :
-   L’émergence des technologies ne garantit pas nécessairement que le citoyen s’en serve à bon escient. Sans doute faudrait-il qu’une véritable formation à la communication médiatique soit dispensée.
-   Le caractère gratuit du partage des infos « à haute valeur ajoutée » ne laissera pas l’économie de marché sans réaction face à ce qui peut apparaître comme une fuite des cerveaux. Cette adaptation amènera inévitablement Joël de Rosnay à devoir nuancer sa prévision.


Grâce à l’Internet et aux vidéoblogs, une nouvelle révolution est en marche dans les médias en général, et dans l’audiovisuel en particulier, celle du « ProNetariat » !

« ProNetariat », ce nom ne vous dit rien ? Normal, c’est un néologisme à porter au crédit de Joël de Rosnay. L’enseignant chercheur, co-fondateur d’Agoravox, sort aux Editions Fayard un ouvrage sur le phénomène des « nanomédias », les médias citoyens et sans capitaux, qu’il oppose aux médias traditionnels, bâtis eux sur le modèle économique capitaliste et qu’il baptise les « infocapitalistes ». Cet ouvrage, écrit en collaboration avec son associé d’Agoravox Carlo Revelli, s’intitule « La révolte du ProNetariat ».
Laurent Esposito

http://www.typepad.com/t/trackback/4041043
http://video.noosblog.fr/television_video_mobile/2006/01/pronetariat_tv.html


« Les citoyens du monde sont en train d’inventer une nouvelle démocratie. Non pas une « e-démo-cratie », caractérisée par le vote à distance via Internet, mais une vraie démocratie de la communication. […] Les internautes commencent seulement à réaliser à quel point le Net du futur va leur permettre d’exercer leur pouvoir, si tant est qu’ils parviennent à se montrer solidaires et organisés. »

La parution en librairie et en téléchargement sur le net , du livre de  Joël de Rosnay : »La révolte du pronétariat » provoque les commentaires les plus divers. Pour certains, l’auteur fait figure de futurologue éclairé. D’autres, plus réservés, le trouvent trop naïf, commettant même ça et là des erreurs de jugement ou estimant un peu trop aisément que le grand public sera capable de saisir cette opportunité technologique de « participation démocratique ».
Sans doute est-ce très délicat de jouer les « monsieur ou madame Soleil » dans un domaine aussi évolutif que les nouvelles technologies !

Il y a bien les historiens qui nous disent que l’histoire se répète inlassablement et qu’un bon rétroviseur permet donc d’avancer avec sagesse. Pourquoi suggérer ici ce regard rétrospectif ? Tout simplement parce qu’il est présent au cœur du néologisme choisi par de Rosnay lui-même. « Pronétariat » pour « prolétariat » et « révolte » pour « dictature »… Il est peut-être bon de rappeler ce que l’histoire nous apprend de cette vision marxiste de l’évolution et de tenter la relecture du contexte actuel à la lumière de cet enseignement.

De Rosnay le dit, la société a trop longtemps fonctionné sur une économie de la rareté. « Le modèle industriel traditionnel a placé le pouvoir entre les mains d’élites ou de grandes familles propriétaires du capital financier et de production. […] Or les règles du jeu ont changé. L’accumulation du « capital informationnel » – représenté notamment par les savoirs, les connaissances, les contenus, les informations stratégiques accumulés dans des bases de données, des bibliothèques, des archives – se fait aujourd’hui de manière exponentielle. La création collaborative ou la distribution d’informations de personne à personne, contribuant à l’accroissement de cette nouvelle forme de capital, confèrent donc de nouvelles prérogatives aux utilisateurs, jadis relégués au rang de simples « consommateurs  ». Selon lui, et il n’est pas le seul à le penser , l‘économie toute entière serait bouleversée dans ses fondements. L’information étant devenue « bien de consommation », nous serions à l’aube d’une révolution pronétarienne rendue possible par l’émergence d’une technologie permettant à n’importe qui de produire, « comme des professionnels. ».
Certes donc, il faut le dire, les nouveaux médias sont là qui banalisent la capture d’image et de son et partant, la production de texte. Et puis c’est un fait, le savoir est détenu, non plus par les seuls « infocapitalistes » en petit nombre, mais par tout internaute désireux de s’exprimer en ligne. Va-t-on réellement assister à une révolution ? De Rosnay est sûr du résultat dans, au plus tard, deux générations. Reconnaissons pourtant que tout dépendra de la capacité démocratique du peuple… et non de l’émergence des seuls outils de communication.

Car une partie du débat semble occultée : nous sommes bien dans un marché de l’info et de la connaissance. Deux piliers de cette économie semblent minimisés : Produire de l’info est un vrai travail. Une info à haute valeur ajoutée ne peut être confondue avec l’avis de l’homme de la rue, si respectable soit-il.

1. Le contenu est une marchandise, son producteur, un travailleur à rémunérer.
Avec l’apparition des blogs et autres podcasts, la technologie rend aisée la production. Mais le contenu reste une marchandise. Si certains adeptes d’une nouvelle conception du réseau (l’émergeant Web 2.0 ou réseau social) ont bien opté pour une attitude du « plus je partage, plus ça avance », il n’en demeure pas moins vrai que tout a un prix. Y compris le gratuit  .
Qui sont donc alors tous ces pourvoyeurs désintéressés d’une info « à haute valeur ajoutée », contenu bloggien ou podcasté ou logiciels gratuits ? Des gens, souvent très compétents, désintéressés d’un paiement à l’acte, car jouant déjà dans la « cour des grands » et pouvant se permettre un débordement à titre gracieux de leur production professionnelle. Pour d’autres qui ne sont pas déjà engagés dans la vie professionnelle, c’est un terrain essentiel pour se faire remarquer et décrocher une embauche… (démarche plus citoyenne que de se faire remarquer en lançant, ça et là, virus et autres chevaux de troies… petit jeu ce que certains pratiquent aussi, on le sait). Mais revenons aux premiers… ils bénéficient généralement d’un statut acquis et valorisant qui les autorisent à cette générosité. Citons par exemple, tous les blogs tenus par des journalistes, tout contents de pouvoir sortir du carcan de la ligne éditoriale de leur rédaction et, en tout cas, des limites du format imposé à leur papier. Journalistes, chercheurs, informaticiens, médiacteurs… ils ont la garantie d’un salaire à fin de mois et  peuvent donc surajouter… Quand pour certains, cela ne fait pas partie d’une stratégie de positionnement… à effet rétroactif : « Et si le blog ramenait le lecteur au journal papier ? », par exemple. Il y a du gratuit qui a le furieusement le goût de l’investissement financier. Citons à nouveau Tristan Nitot dans son débat l’opposant au très médiatique Loïc Le Meur .
Personne ne s’en plaindra, parmi le grand public qui reçoit cette manne providentiellement. Mais est-ce un modèle économique réaliste ? Ne s’apparente-t-il pas un peu à la fuite des cerveaux ? Peut-être n’est-ce qu’une transition, le système devant bien trouver une parade à cette fuite.

2. La réelle valeur des infos publiées en ligne.
Si tous ceux qui veulent publier bénéficient aujourd’hui d’outils de qualité professionnelle au maniement aisé, sans doute faut-il aussi s’inquiéter de la réelle valeur ajoutée des infos mises en ligne si facilement. Agoravox  est sans doute un bel exemple. Qui sont les 4221 rédacteurs qui se sont inscrits comme collaborateurs occasionnels de ce « média citoyen » ? Sont-ils tous diplômés de journalisme ? Ont-ils tous une compétence reconnue dans les thématiques qu’ils traiteront ? Et, pour tenir compte du premier point développé ci-avant, sont-ils tous occupés à produire du surnuméraire de qualité, à titre gracieux ? Certes, un comité de rédaction est là qui est sensé filtrer , mais la vigilance critique est-elle toujours aussi bien organisée, ailleurs sur le web, quand il s’agit de publier blog et podcast à tire larigot ?

J. de Rosnay nous dit : « Les pronétaires sont en train d’inverser les rapports de forces traditionnels. Nous l’avons vu, ils disposent des mêmes outils que les professionnels tout en ayant la capacité de se connecter en réseau immédiatement et de manière fluide. […] Face à cela, les structures lourdes et pyramidales des professionnels traditionnels ne permettent pas de répondre avec suffisamment de réactivité. »

Certes, en termes de rapidité d’émission, le score leur est favorable. Mais le lecteur est-il pour autant gagnant ? Agoravox ouvre le débat au bas de chacun de ses articles. Les internautes ont donc la capacité de réagir, et ils la saisissent. Mais va-t-on pouvoir discriminer les avis compétents au sein de tout ce buzz ? La surinformation n’est-elle pas le pire ennemi de l’information ?

Bien sûr, la carte de presse n’est pas toujours la garantie d’un traitement de qualité d’une info citoyenne… mais généralement, pour le journaliste professionnel issu d’une école de journalisme, l’appartenance à un média situé permet au lecteur de se faire un avis. Mais sur le net, c’est aussi le citoyen lambda qui s’exprime. Ce que l’internaute cherche alors, c’est un traitement professionnel de l’info, tant au niveau de la forme que du fond. Elle est sans doute sympathique la petite vidéo de Loïc le Meur interviewant Joël de Rosnay … mais on n’a pas la qualité des médias professionels.
En effet, on n’écrit pas pour les médias comme on discute au café du commerce, ni comme on participe à un débat privé ou comme on disserte en classe. Dès lors, en deux générations d’internautes, le public équipé des nouvelles technologies sera-t-il selon les espérances de Joël de Rosnay, capable de mettre à mal une industrie et partant, toute une économie de la production des savoirs ? Comment s’amorcera ce mouvement vers plus de démocratie citoyenne, au delà du simple accès à l’équipement médiatique, si on ne met pas en place aussi une éducation aux médias qui « performe » l’internaute dans l’art de média-communiquer. Et comme lecteur critique. Et comme pourvoyeur d’infos.

Sans doute ne peut-on reprocher à de Rosnay de tenter une perspective. Mais plus que de l’attribuer au seul développement de la technologie, sans doute faut-il aussi l’imaginer dépendante d‘un développement de compétences médiatiques dont l’apprentissage doit être orchestré. C’est en cela que le rétroviseur de l’analyse marxiste se révèle intéressant (puisque de Rosnay, par sa comparaison, nous y invite). Marx annonçait comme inévitable un état, la dictature du prolétariat, qui n’aura finalement pas eu lieu. La raison de cette méprise vient du fait que son annonce ne tenait pas compte d’un élément : la réaction de la société de l’époque au message de Marx lui-même. Marx ne prenait pas suffisamment en compte que le contexte s’adapterait à la publication de son manifeste… d’où finalement les déclinaisons socialisantes du communisme.

Concernant la révolution pronétarienne en cours, n’est-ce pas plus opportun de mettre en avant deux passages obligés plutôt qu’un : non seulement l’émergence technologique qui est bien en train de se faire, mais aussi la formation du citoyen à une communication médiatique performante, ce que nous appellerons une démarche d’Education aux Médias, toujours à mettre en place.
Et puis, ne faut-il pas supposer que le monde économique de la production des savoirs s’adaptera à cette mutation en cours. Sans doute faudra-t-ilen conséquence nuancer l’analyse de Joël de Rosnay. En effet, quelle place l’économie marchande donnera-t-elle à cette dimension de gratuité et de spontanéité manifestée à travers l’usage de ces outils que sont les logiciels libres, les blogs et les podcasts ? Il faudra bien qu’elle se re-positionne, cette économie. Qu’il s’agisse là d’une nouvelle mutation conséquente, sans doute ! La fin d’une économie de marché, pour un Grand soir sur fond d’économie de troc… cela reste à prouver.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité